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23Avr
Avec Olivier De Moor, nous sommes d’emblée dans la catégorie Vigneron à carapace dure, de première abord réservé, timide, effacé. Rencontrer un tel homme c’est comme partir à la cueillette aux champignons. C’est pas gagné à l’avance. Il faut connaître le terrain, montrer patte blanche, approcher sans s’annoncer mais doucement, pas à pas, discuter peu au départ, de toutes façons il ne dit que quelques mots, parle à voix basse et semble sortir de sa tanière.Et puis, Olivier De Moor fait un geste d’apaisement. Il ouvre sa porte, vous avertit, deux fois, de bien baisser la tête en entrant dans la première partie de sa cave, et vous entraine dans un dédale de caves sombres et froides, de portes, d’escaliers, pour déboucher en bas dans une dernière cave. On va déguster quelques cuvées mais nous ne pourrons rien acheter. Y’a plus rien à vendre, écoulé déjà ou réservé.
Mais savez-vous pourquoi on manque De Moor à Chablis ? Certainement parce qu’il ne fait que 30000 bouteilles avec 7 ha de vigne et un rendement de 35 hl/ha.Sûrement parce que ses vins sont très vites introuvables car très recherchés !Peut-être aussi parce que Chablis gagné par une euphorie sur le marché américain, dans un passé encore très récent, a utilisé à volonté tous les artifices à sa portée pour une production soutenue de vins.« Les grandes maisons de négoce sont en position de force. Elles entrainent tout le monde dans des techniques vers lesquelles je ne veux pas aller » nous confie Olivier De Moor.« J’essaye de faire du vin pour me regarder en face, sans intrants. Et comme je travaille, ca donne les vins que je fais, différents ! »Mais bien sûr, à ce point d’exigence, avec un tel rendement, la rentabilité est moindre et le travail plus difficile, plus risqué. Très peu soufré, le vin a de cette délicatesse qui accompagne chacun des gestes d’Olivier De Moor.Mais il insiste, recadre : « il faut coexister entre ceux qui font 60hl/ha et ceux qui ne font que 35. »Vivre De Moor et d’eau fraîche semble-t-il !
Parce que les séjours en cave sont toujours de l’ordre de l’intime, la gouaille du visiteur, soudain, surprend, étonne, voir amuse. Tandis que nous étions affairés, le nez plongé dans l’un de ses Chablis, le rosette 2009 encore en fût mais fin prêt, aux fortes notes citronnées et nerveuses, totalement dépourvu de bois, surgit un grand et costaud bonhomme, en bermuda trop large et sandalettes en cuir ; un total look d’américain. Michel Moulherat de la Cave de l’Insolite à Paris. Grand gaillard à l’opposé de la discrétion du vigneron, du genre tactile, au verre facile, vite vide, glougloutant chaque gorgée, aussitôt avalée, poussant l’espace par des « voilà, ca c’est bon ! J’fais vite, j’te prends 2 bouteilles et on y va ».C’est promis on passera le voir à sa cave quand on sera à Paris.Retour au calme.
On replonge dans la cave du bas et on découvre la cuvée Rosette en 2008 qui doit bien se trouver quelque part en France chez certains cavistes comme Lavinia, Augé, Chapeau Melon, La Part des Anges à Nice ou Les Indigènes à Perpignan.Belle acidité toujours avec des contours de citrons confits et un léger fumé. Une année de fermentation longue à la suite d’un bel été et d’un vent du nord en Septembre qui a eu la particularité de concentrer le raisin.Puis le Saint-Bris, cuvée de Sauvignon blanc et gris, vieilles vignes gagnées par les manquants, qu’il a fallu filtrer sur ce 2008. Il restait trop de sucre, 5g. « Je vendange tard. En fin de fermentation, les levures patinent par manque de nutriments. En laissant un peu de gaz, on garde de la nervosité au vin et on filtre pour éviter que les levures repartent avec le sucre. »Une délicatesse ce vin, du fruit, de la finesse. On le supplierait pour repartir avec au moins une bouteille.Et parce que le vin c’est la terre, la vigne, on s’échappe rapidement du village de Courgis pour tâter du cailloux du bout des pieds sur la première de ses parcelles. Les ceps sont encore nus. Le sol meuble se tapisse de quelques herbes, un pissenlit en fleur et de mignonnes fleurs bleues enivrantes. Pas d’ensemencement, ca vient naturellement.Le regard d’olivier De Moor se fait plus complice, plus détendu.En regardant le vignoble de Chablis alentours, décharné, vide, grisâtre, uniforme, avant l’éclatement des bourgeons, on espère vivement que Chablis prenne des couleurs.